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Ancre 1

Les temples en regorgent, certaines hautes de plusieurs mètres, on en croise ceintes de petites grilles oranges en guise d’autels de rue : à Calcutta, les statuts de divinités sont des plus présentes. Ganesh et sa tête d’éléphants, Shiva et son troisième œil et bien sûr, la déesse particulièrement vénérée au Bengale, Kali, tirant la langue. Un quartier de la ville est renommé pour la qualité de ses sculptures : Kumartuli, le quartier des potiers. A la veille du Durga Puja, la plus grande fête populaire hindoue du Bengale, la frénésie s’en empare. On a décidé de comprendre ce qu’il s’y passe.

Le quartier des potiers de Calcutta délaisse la sculpture traditionnelle

« Side ! » Les voix fusent depuis l’allée principale. Dix hommes tirent deux cordes au débouché d’une étroite ruelle, hélant les passant·e·s de faire un écart, tant la cargaison transportée est précieuse. Au bout de l’attelage, sur un brancard de bambous, se tient la statue de Durga, la déesse hindoue transperçant de sa lance le démon Asura. Les cris résonnent, les visages se tendent : la sculpture de glaise doit descendre un trottoir d’une vingtaine de centimètres. Une secousse trop intense pourrait l’endommager avant qu’elle ne rejoigne sa destination, l’un des nombreux pandels (pavillons temporaires) actuellement dressés dans tous les quartiers de Calcutta à l’occasion du festival Durga Puja (4-11 octobre).

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​D’autres avant elle ont suivi le même chemin tortueux. Depuis mars, Kumartuli, le quartier des potiers, exporte des centaines d’idoles : et pour cause, chaque pandel se doit d’en avoir une à vénérer durant cet événement religieux. Le lieu est le plus ancien et le plus grand centre de production de sculptures de la ville. On y passe commande depuis l’État indien du Bengale, et parfois à l’internationale où la diaspora hindoue conserve des liens avec ce quartier, l’un des plus vieux de la ville.

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Des artisans indiens au service des nouveaux riches Bengalis

 

La construction de Kumartuli est entièrement liée à la célébration du Durga Puja telle qu’elle existe aujourd’hui. Au XVIIIème siècle, une nouvelle classe de Bengalis apparaît, celle des Babus, collaborant étroitement à l’exploitation coloniale de la Compagnie britannique des Indes orientales. Enrichis, ils exhibent l’étendue de leur pouvoir et de leur nouveau statut en organisant à Calcutta d’imposantes festivités, également financées par les britanniques, en l’honneur de la déesse Durga. « Une splendide opportunité de relations publiques », considère Krishna Dutta dans son ouvrage Calcutta, a cultural and litterary history réédité en 2013. La demande pour les statues explose. La ville, créée ex-nihilo fin XVIIème, ne possède pas de compétence en la matière. Les artisans-potiers des villages alentours sont donc mis à contribution, puis se rapprochent de leur richissime clientèle. Les trois premières familles d’artisans s’installent au nord de la white town, à proximité de l’Hoogly, le bras du Gange passant par Calcutta. Elles sont rejointes par de nombreux travailleurs au cours du XIXème siècle, faisant sortir de terre tout un nouveau quartier.

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Modeler la glaise en divin

 

Kumartuli demeure un quartier d’artisans réputés pour leur savoir-faire traditionnel. Il compte 250 potiers. Ici, peu de division du travail : chaque atelier exigu, débordant sur les ruelles, abrite l’ensemble des étapes de fabrication des effigies. Un procédé complexe et délicat, récemment documenté par trois chercheurs en anthropologie de l’université de Calcutta. L’érection d’une statue prend du temps. Un à deux mois selon la taille, c’est ce qu’il faut pour permettre aux équipes de construire le squelette en bambous, paille et fibre de noix de coco, de le recouvrir de 4 couches de terre glaise collectée dans l’Hoogly avant de passer à la coloration et à la confection des accessoires.  Chaque couche de glaise demande elle-même un important travail puisqu’y sont ajoutés successivement paille, jute, coton et son de riz, pour renforcer le tout et prévenir des fissures. Les doigts, oreilles et autres parties délicates sont confectionnées dans des moules et intégrées encore humides au corps.

 

Des peintres spécialisés viennent dans les ateliers des sculpteurs donner une dernière touche d’humanité aux divinités. Un soin particulier est porté aux visages, peints de manière à imprimer dans l’œil du dévot la puissance du sacrée. Les personnages sont ensuite apprêtés à l’aide de soieries, perles et dentelles. C’est dans cette seule étape que certaines femmes sont impliquées. Pour le reste, 3 d’entre elles dans tout le quartier peuvent exercer pleinement le métier de potière. C’est dans la peinture et les accessoires que se joue l’originalité des œuvres, par ailleurs toutes très similaires et respectueuses de la tradition.

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Quelques entorses à la tradition

 

Mais le quartier est en proie au changement. Le plâtre et le moulage des corps font leur apparition chez les potiers délaissant la glaise locale, bien plus longue à manier, comme l’écrive l’équipe de chercheurs.  Un gain de temps précieux en période de forte demande, au détriment de l’environnement : les sculptures, selon le rituel hindou, finissent plongées dans le Gange au terme du festival. Contrairement à la glaise, le plâtre se dissout mal et pollue le fleuve et ses abords. Cette technique pénalise également les acheteurs : sur le plâtre, impossible de punaiser les broderies et textiles enluminant la scène. Mais voilà, elle a le chic de faciliter énormément le travail. Avec le moulage, les potiers peuvent dupliquer rapidement leur modèle.

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Et le changement ne vient pas que des artisans. Depuis quelques années, les organisateurs locaux du Durga Puja font appel à des artistes bâtissant des pandels personnalisés, laissant davantage de place au pas de côté artistique. Une tendance qui taille des croupières aux parts de marché des potiers de Kumartuli. Mais ces derniers n’ont pas dit leur dernier mot. Leur propre pandel est parmi les plus attendus de cette année, pour son excentricité et ses éléments contemporains entourant la déesse.

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Octobre 2019, Calcutta

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Atelier d'un potier, un immense Shiva tend la main, oct. 2019, A.L, M.S.

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Dans l'une des artères du quartier, oct. 2019, A.L, M.S.

Tas de glaise, oct. 2019, A.L, M.S.

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Les futurs accessoires de Durga, oct. 2019, A.L, M.S.

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La déesse Durga admirée avant son départ pour un pandel, oct. 2019, A.L, M.S.

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Un potier à l’œuvre, oct. 2019, A.L, M.S.

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